lundi 24 septembre 2012

Le théatre que j'ai dans la tête

Par la Cie Teatro del Ariette - Stephano Pasquini et Paolla Berselli /// comédiens et agriculteurs
Intervention dans le cadre des Rencontres culturelles obliques le 7 juillet 2012.

Le théâtre que j’ai dans la tête, la société que j’ai dans la tête.
Je ne peux pas imaginer un théâtre sans imaginer une société.

Je sens la société, aujourd’hui, brisée, confuse. Je sens les hommes seuls, égarés. Je sens le refus de la fatigue et la recherche du confort. Je sens le désir de la fuite. Je sens la douleur, la peur de la mort. Je sens l’ennui que les autres nous provoquent.

Et je suis au milieu d’un champ, et je médite en travaillant sous le soleil, la pioche dans les mains.

Je sais que le théâtre est imagination, création. Je sais que le théâtre est action, dialogue, miroir.

Le théâtre que j’ai dans la tête est celui que j’ai connu quand j’étais un enfant, et la société était communauté, et tous les dimanche mes parents m’emmenaient à la messe où on racontait des histoires d’hommes et de Dieu, on chantait, on voyait et on faisait des choses magiques et mystérieuses.

Combien me manque-t-il aujourd’hui ce sentiment de la communauté et comme il est triste pour moi penser que les visites dominicales aux supermarchés et aux centres commerciaux ont remplacé les messes, je ne sais pas dire.

Le théâtre que j’ai dans la tête est dans mes bras et dans ma bouche, dans chaque action et mot de citoyen, dans chaque geste et murmure de tendresse et de soin pour les hommes, les animaux, les plantes et les choses. S’il n’y a pas ce soin patient, constant, mon théâtre n’existe pas. S’il n y a pas l’action quotidienne, de chaque jour, l’avant, l’après, le durant, le dessus, le dessous et le dedans ne pourrait pas exister.

Qu’elle est la place du théâtre dans cette société ?
Je courbe la tête, je baisse les yeux et je recommence le travail.

Cette société n’est pas la mienne, je n’y vis pas. Je vis dans un lieu où il n’y a pas des vacances, je vis dans un temps où il n’y a pas de temps libre,  je vis où on vit sans cesse, du matin au soir, de soleil à soleil, de lune à lune.

Dans le lieu où je vis le théâtre a la même dignité et nécessité d’une fleur, d’un oiseau ou de moi-même.
Dans le lieu où je vis il n’y a pas des réponses, mais des questions continues, le soleil brule l’été, la neige gèle l’hiver, le pain est le pain, les mots sont les mots, les gestes sont les gestes, les vivants sont les vivants, les morts sont les morts, les guerres sont les guerres et l’amour est l’amour et toutes ces choses, et beaucoup d’autres encore, existent et sont assises ensemble dans un parlement terrestre qui fait les lois aux quelles j’obéis.

J’aime écouter les bruits, regarder les gestes des hommes et les mouvements des animaux, des plantes et de la terre quand le vent souffle. J’aime écouter les mots jusqu’à ne plus le comprendre et labourer la terre jusqu’à l’épuisement. J’aime chanter.

Si je ne pouvais pas jouer le théâtre que j’ai dans la tête je ne pourrais pas parler, marcher, respirer, jouer.
Et alors, dans le lieu où je vis, je l’ai même bâti un théâtre avec les briques et la chaux, je l’ai bâti avec mes mains il y a dix ans, et il est encore là, debout et nous l’avons agrandi et restructuré cette année  et nous allons l’ouvrir le 30 avril. Mais quand je le regarde il me semble impossible que c’est moi celui qui l’a bâti.
Et même ces rangés d’arbres si grands, je ne me souviens plus de les avoir plantés il y a quinze ans. Et le champ que nous avons cultivé à Santarcangelo di Romagna, pour créer un spectacle, l’estate.fine, nous avons planté du mais et des légumes, je ne me souviens pas d’avoir semé du ciment aussi, mais aujourd’hui sur ce champ a poussé une maison.
Les lucioles, oui. Je me souviens des lucioles. Début juin les lucioles arrivent sur nos champs de blé.

Dans le lieu où je vis, les soirs d’été qui t’arrachent le cœur, il me semble encore de me voir enfant, gardien de but, jouer sur un champ de terre et de poudre.

Ce soir le ciel est rouge, le monde est en flamme et le maïs est plus haut que moi.

Lointain j’entend la musique d’une guinguette qui arrive jusqu’ici en traversant la plaine. Elle arrive de lieux où les gens ne dorment jamais et le cirque n’a pas de fin.
Alors, avec mes bras, je serre Paola contre moi et nous commençons à danser une valse sur la colline et tout d’un coup arrivent les chiens, les oies, les poules, les lapins, les moutons et la ponette et nous partons en cortège vers le toit du monde et Paola est habillée en blanc et moi en noir.

C’est la nuit, dans le ciel il y a la pleine lune, et toute la terre est couverte de neige.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire